Generally, health is just so heavily regulated. It’s just a painful business to be in. It’s just not necessarily how I want to spend my time. Even though we do have some health projects, and we’ll be doing that to a certain extent.
Sergey Brin, juillet 2014

 

Cet été fut riche d’annonces pour Google. Réorganisation en interne, partenariats multiples, développement d’un tracker médical… le géant du web multiplie les initiatives, précisément dans le domaine qui semble tant exaspérer son co-fondateur, Sergey Brin : la santé. Et pourtant, Google ne cesse de réaffirmer son ambition de vouloir révolutionner la médecine. L’occasion de revenir sur les différents projets liés directement à la santé, pour voir l’intérêt – et l’emprise – grandissante de Google dans ce secteur.

(retrouvez un panorama actualisé sur l’Observatoire des projets Google dans la santé de mon blog)

Alphabet : une réorganisation faisant la part belle aux projets santé

 

Le 10 août, à la surprise générale, Larry Page annonçait une réorganisation du groupe et la création d’une holding, Alphabet. Cette maison-mère viendrait chapeauter un ensemble de sociétés distinctes, Google (recentré sur ses activités historiques) devenant une filiale aux côtés d’autres telles Calico, Nest, Fiber, Google Ventures ou encore Google X. Le 21 août, Sergey Brin complétait cette annonce en indiquant que « Life Sciences », la division santé du laboratoire Google X, devenait à son tour une société distincte au sein du nouveau groupe. A l’issue de cette réorganisation ressortent ainsi deux filiales d’Alphabet spécifiquement consacrées à la santé : Calico et Life Sciences.

 

Calico : un laboratoire de recherche pour repousser les limites de la longévité

 

Calico (pour CAlifornia LIfe COmpany), société fondée en septembre 2013 et dirigée par Arthur Levinson, a pour mission de mieux comprendre les mécanismes du vieillissement et de s’attaquer aux maladies associées. L’objectif ? « Tuer la mort », selon la formule désormais bien connue, ou à défaut, proposer des solutions thérapeutiques pour repousser toujours plus loin les frontières de la longévité. Très peu d’informations filtrent sur la nature exacte de ses activités. Parmi les initiatives connues :

  • Partenariat avec AncestryDNA (juillet 2015), une société américaine spécialisée dans la généalogie génétique qui commercialise des tests ADN, afin d’avoir accès aux données de ses utilisateurs pour analyser les liens entre génétique et longévité.
  • Partenariat avec le laboratoire pharmaceutique AbbVie (septembre 2014), afin de développer et de mettre sur le marché de nouvelles thérapies pour des patients ayant des maladies liées à l’âge, incluant la neurodégénérescence et le cancer.

 

Life Sciences : des projets tournés vers une approche plus préventive de la médecine

 

Sortis du giron du laboratoire d’innovation Google X, les projets de la nouvelle filiale Life Sciences conservent comme objectif de « faire basculer les nouvelles technologies du stade précoce de la recherche et développement à celui des essais cliniques », comme l’explique Serguey Brin sur son compte Google +. Avec une équipe de plus de 300 scientifiques dirigée par Andrew Conrad, Life Sciences œuvre à promouvoir une approche plus proactive de la santé, que ce soit en termes de prévention ou de suivi, notamment grâce à l’analyse de données, domaine de prédilection du géant américain. Des projets tournés essentiellement vers les maladies chroniques, l’un des principaux enjeux de santé publique.

 

Parmi les principales annonces depuis un an, des partenariats avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques et fabricants de dispositifs médicaux :

  • Partenariat avec Sanofi (31 août 2015), pour développer des outils innovants pour améliorer la prise en charge et la gestion du diabète (dispositifs miniaturisés à destination des patients, interface médecins pour un meilleur suivi, …)
  • Partenariat avec Dexcom (11 août 2015), autour de la fabrication de dispositifs connectés de suivi glycémique en continu, de la taille d’un pansement et à un coût réduit
  • Partenariat avec Ethicon, filiale du groupe pharmaceutique Johnson & Johnson (mars 2015) pour le développement d’une plateforme de robots chirurgicaux
  • Partenariat avec Biogen (janvier 2015), autour de la sclérose en plaques, pour étudier les facteurs biologiques et environnementaux impliqués dans la progression de cette maladie neurodégénérative
  • Partenariat avec Alcon, la filiale consacrée à l’ophtalmologie du groupe Novartis (juillet 2014), pour le développement de lentilles de contact connectées, dotées de capteurs miniatures permettant de mesurer en continu la glycémie des patients diabétiques (essais sur l’homme attendus en 2016).

 

D’autres projets annoncés émanent plus particulièrement des équipes de Life Sciences, qui a recruté de nombreux experts et chercheurs de renommée internationale pour mener à bien ses travaux :

  • Tracker médical (juin 2015) : Développement d’un tracker médical à destination des chercheurs et professionnels de santé, pour un suivi à distance des patients ou dans le cadre d’essais cliniques. Ce tracker permettra de mesurer en continu des données telles que la fréquence cardiaque, le niveau d’activité et la température de la peau, ainsi que des données environnementales complémentaires comme l’exposition à la lumière et au bruit.
  • « The Nanoparticle Platform » et son « bracelet » associé (octobre 2014 et mars 2015) : Elaboration d’une pilule composée de nanoparticules magnétiques qui, une fois ingérées, circuleraient dans le sang. Elles seraient capables de détecter les éléments potentiellement néfastes pour la santé et d’aller se fixer sur eux. Etant magnétiques, ces nanoparticules pourraient ensuite être rassemblées en un même endroit grâce à un dispositif électronique qui les attirerait pour analyser les informations collectées. En mars 2015, Life Sciences dépose un brevet décrivant un bracelet qui serait ainsi capable d’identifier, puis de détruire certaines cellules – par exemple cancéreuses – à travers la peau.
  • Baseline Study (juillet 2014) : Etude dont l’objectif est de déterminer le « profil type » d’un corps humain en bonne santé, en collectant des données génétiques et physiologiques de milliers de volontaires. L’ambition est de pouvoir étudier les moindres variations pouvant être associées à des risques de maladies, pour tenter de mieux les comprendre et d’apprendre à les détecter plus tôt. Le tracker médical de Google pourrait être utilisé dans le cadre de cette étude pour suivre les volontaires.
  • Liftware : Gamme de couverts connectés développés par la startup LiftLabs, rachetée en 2014 par Google. Ils permettent de minimiser les tremblements des personnes atteintes de la maladie de Parkinson lors des repas (déjà en vente aux Etats-Unis).

 

Google : des initiatives santé testées auprès des utilisateurs

 

Plus proche de son métier de base, Google développe plusieurs services liés à la santé autour de ses activités de moteur de recherche, de système d’exploitation mobile et de plateforme de cloud computing :

  • Knowledge Graph santé (février 2015) : Affichage d’informations santé « validées » dans l’espace Knowledge Graph (en haut à droite) des pages de résultats lorsqu’un utilisateur effectue une requête liée à la santé. Google s’est entouré d’une équipe de médecins pour compiler l’information issue de différentes sources du web et s’est associé notamment à la Mayo Clinic pour valider la qualité et la fiabilité de l’information ainsi remontée (illustrations, traitements, degré de contagiosité, etc.). Déjà disponible aux Etats-Unis, ce service devrait être étendu à d’autres pays par la suite.
  • La consultation médicale par visioconférence (octobre 2014) : Nouvelle fonctionnalité intégrée au moteur de recherche visant à proposer aux internautes effectuant des recherches liées à la santé (par exemple concernant des symptômes) d’entrer en contact avec un médecin par tchat vidéo similaire au service offert par Google Hangouts. En test aux Etats-Unis (confirmé par Google mais pas d’annonce officielle).
  • Google Fit (octobre 2014) : Plateforme permettant aux utilisateurs de centraliser via des API les données santé, sport et fitness issues de différents capteurs connectés ou d’applications afin de suivre leurs paramètres et activité physique dans une seule et même interface (disponible sur ordinateur, mobiles et appareils Android Wear).
  • Google Genomics : Google propose aux chercheurs d’utiliser sa plateforme cloud et son API Google Genomics pour mettre en ligne, stocker, analyser et partager des millions de génomes. L’objectif : explorer et comparer des variations génétiques pour identifier les gènes en cause dans certaines maladies. Plusieurs partenariats avec des instituts de recherche ont déjà été noués, notamment avec le Broad institute of biomedical and genomic research.

 

Google Ventures : 2014, l’explosion des investissements de Google dans la santé

 

Lancé en 2009 aux Etats-Unis, le fonds d’investissement Google Ventures gère plus de 2 milliards de dollars d’actifs avec des participations dans plus de 280 startups. Ses investissements dans la santé sont passés de 9% en 2013 à… 36% en 2014. A la tête de cette structure : Bill Maris, qui a étudié les neurosciences, participé à la création de Calico, et compte parmi ses amis Ray Kurzweil, le célèbre théoricien du transhumanisme. Ceci explique peut-être cela…

Une douzaine de sociétés sont directement liées à la santé, et reflètent les centres d’intérêt de Google : 23andme (tests ADN), Flatiron Health (collecte de données oncologiques), DNAnexus (stockage, analyse et partage de données génétiques), Foundation Medicine (profilage génomique des cancers), iPierian (traitements par thérapie cellulaire pour les maladies neurodégénératives) – rachetée par Bristol-Myers Squibb en 2014, Editas Medicine (mécanismes de réécriture de l’ADN), Adimab (recherche sur les anticorps humains), SynapDx (test sanguin pour la détection précoce de l’autisme), Predilytics (analyse prédictive), One Medical Group (cabinet médical 3.0), Doctor on Demand (téléconsultations), Rani Therapeutics (administration de médicaments) et Transcriptic (location de robots de laboratoire à la demande).

 

Des partenariats pour surmonter les obstacles et avancer plus vite

 

Si Google Flu Trends n’a pas été intégré dans ce panorama, c’est qu’Alphabet vient de fermer le site au grand public. En cause : les surestimations quasi-systématiques de ce service, censé prévoir les épidémies de grippe grâce à l’analyse des requêtes des internautes. Google Health, service de centralisation des données santé lancé en 2008, a été fermé en 2012. Trop en avance sur son temps ? A moins que les internautes n’aient pas reconnu en Google la légitimité suffisante pour qu’ils lui confient leurs données de santé. 23andme a également connu un sérieux revers lorsque la FDA lui a interdit d’utiliser les résultats de ses tests ADN pour déterminer d’éventuelles prédispositions à des maladies, mettant en doute le bien-fondé scientifique de la démarche. Ces échecs mettent en exergue deux points sensibles : la fiabilité de l’analyse des données et la confiance concernant les données de santé.

Google semble avoir aujourd’hui compris que son positionnement passerait, en tout cas à court terme, par des partenariats avec des entités qui connaissent parfaitement ce secteur, ses enjeux et ses impératifs. Google apporte à ses partenaires ses compétences en stockage, analyse de données et puissance de calcul et son expérience en matière d’interface utilisateur et ergonomie. Ses partenaires, tels les laboratoires pharmaceutiques ou fabricants de dispositifs médicaux, apportent leur connaissance en matière d’essais cliniques, notamment pour tester ces nouveaux dispositifs innovants, et leur expertise réglementaire pour obtenir le feu vert des autorités pour leur commercialisation. D’autres partenaires apportent leur légitimité sur la création et la validation de contenus, comme par exemple la Mayo Clinic, ou leurs bases de données, comme par exemple AncestryDNA. Ce qui n’est pas sans susciter une autre question d’importance : quid du consentement des patients, de la propriété des données et de l’encadrement de leur utilisation ?

 

Un écosystème de produits et services autour de la santé, tout au long de la vie

 

Ce panorama est sûrement loin d’être complet. On pourrait encore y ajouter les Google Glass, qui, si elles n’ont pas eu le succès public escompté, pourraient trouver une seconde vie dans des applications professionnelles plus spécialisées, notamment au service de la chirurgie. Ou encore le projet Wing de Google X, qui développe des drones pour la livraison de colis, par exemple des médicaments. Sans compter les investissements de Google autour de la maison connectée, avec le thermostat et la caméra connectés de Nest, startup rachetée en 2014 par Google, qui peuvent trouver des applications en santé, notamment autour de l’enjeu de l’autonomie et du maintien à domicile.

Cette liste nous montre surtout que Google s’est positionné à toutes les étapes du parcours de santé, de la détection de prédispositions génétiques au développement de dispositifs de suivi de patients, en passant par la télémédecine, l’aide au diagnostic et les traitements personnalisés. Un leitmotiv, repris au fil des annonces de nouveaux projets : rendre la médecine plus proactive, tant sur le plan de la recherche, en amont, que dans la prise en charge des patients, pour les aider à mieux vivre leur maladie. En cela, Alphabet répond à un besoin urgent, à l’heure où le nombre de patients atteints de maladies chroniques s’envole et que les autorités de santé s’efforcent de réorienter le système de soins vers une approche plus préventive.

Pour une entreprise dont le co-fondateur souhaitait ne pas passer trop de temps sur la santé, Alphabet semble pourtant bien engagé dans ce secteur. Mais peut-être n’est-ce qu’un début ? « Si vous me demandez aujourd’hui s’il est possible de vivre jusqu’à 500 ans, la réponse est oui », déclarait Bill Maris en janvier dernier. De quoi voir passer encore « some health projects ».

Céline Sportisse

Blog Santé Numérique
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