Rendez-vous incontournable du numérique santé, l’Université de la E-santé revient pour une 18ème édition à Castres les 26 et 27…
C’est un signe qui ne trompe pas : Google s’y est intéressé dès 2012, en déposant un brevet décrivant une flotte de drones conçus pour porter secours dans diverses situations d’urgences, notamment médicales. Livraison de kits de premiers secours, d’outils de diagnostic ou de médicaments, le géant du web anticipait déjà tout le potentiel de ces aéronefs sans pilote dans l’univers de la santé. Aujourd’hui, les tests grandeur nature se multiplient aux quatre coins du monde pour mettre en avant les atouts de ces appareils dont l’autonomie et la rapidité d’intervention permettraient de sauver des vies, malgré les (très) nombreux obstacles qu’il reste à franchir pour un déploiement commercial à grande échelle.
Amazon collabore avec les autorités britanniques dans le cadre de son projet Prime Air pour tester la livraison par drone en zone rurale; Google a obtenu cet été le feu vert de la FAA (Federal Aviation Administration) aux Etats-Unis pour plusieurs expérimentations dans le cadre de son projet Wing : les drones sont clairement dans l’air du temps.
Ils présentent en effet de nombreux avantages : pilotés à distance, semi-autonomes voire totalement autonomes grâce à la pré-programmation de leur trajet, ces appareils peuvent transporter rapidement des charges en s’affranchissant des nombreux freins auxquels doit faire face le transport terrestre. Relief accidenté, routes impraticables, zones d’habitation mal desservies, ou encombrement de la circulation… autant d’obstacles qu’ils survolent allègrement.
Equipés de balises GPS, de caméras HD ou thermiques, ou encore d’émetteurs-récepteurs radio pour communiquer avec la base, les drones se prêtent à de multiples applications. Sans compter qu’ils ne nécessitent pas de grosses infrastructures pour décoller ou atterrir – ils n’ont d’ailleurs même pas besoin de se poser au sol pour acheminer du matériel, qui peut être parachuté à basse altitude à destination.
Un revers à cette flexibilité : la capacité de charge reste, pour l’heure, assez restreinte, les tests en cours se limitant pour la plupart à une charge utile de 1 à 2 kg maximum. Une capacité suffisante cependant pour voir naître de nombreux projets au service de la santé. Petit tour d’horizon des principaux usages et de quelques expérimentations en cours.
Repérer les personnes dans des situations d’urgence
La capacité des drones à s’approcher des zones dangereuses sans mettre en jeu une vie humaine en font des alliés précieux lors des catastrophes naturelles. Incendies, inondations, séismes… Equipés de caméras haute-définition ou thermiques et de balises GPS, les informations renvoyées en temps réel par les drones permettent de repérer et de localiser des personne en détresse plus rapidement et de fournir ainsi des informations précieuses aux équipes de secours.
Madagascar, pays africain le plus exposé aux risques liés au changement climatique, s’est ainsi équipé en février de plusieurs drones pour assurer la surveillance de l’île et aider les équipes d’intervention en cas de besoin.
Porter assistance aux personnes en détresse
Les drones peuvent apporter une première réponse en cas d’urgence médicale, en amenant rapidement sur place l’équipement le plus adapté à la situation, en particulier lorsque chaque seconde compte.
Un étudiant de l’Université de Technologie de Delft aux Pays-Bas a ainsi conçu un prototype de « drone ambulance » équipé d’un défibrillateur. En cas d’appel pour un arrêt cardiaque, les services d’urgence peuvent envoyer immédiatement le drone auprès de la victime pour que les premiers soins lui soient prodigués avant même l’arrivée des secours. La rapidité de la prise en charge est en effet fondamentale pour sauver des vies et limiter les risques de séquelles. L’opérateur peut également aider l’utilisateur à réaliser les gestes qui sauvent en le guidant grâce à une webcam et un haut-parleur embarqués.
En France, c’est un drone d’aide au sauvetage en mer qui a été testé cet été sur les plages de Biscarosse. Baptisé Helper, ce drone sauveteur a été inventé par un médecin urgentiste pour venir le plus rapidement possible en aide aux personnes en train de se noyer. Piloté par un sauveteur, ce drone est équipé d’une caméra et est capable de larguer une bouée auto-gonflable au plus près de la personne en difficulté pour qu’elle s’y agrippe en attendant l’arrivée des secours.
Accélérer le dépistage de certaines maladies
Plusieurs initiatives ont été lancées pour expérimenter l’acheminement par des drones de test de dépistage de certaines pathologies auprès de communautés isolées, en particulier dans les pays ou les infrastructures sont insuffisantes et l’accès aux soins très réduit.
Au Malawi, où 10% de la population est porteuse du VIH, un projet pilote a été mené cette année en partenariat avec l’Unicef pour acheminer par drone des tests de dépistage du VIH entre les dispensaires ruraux et les huit laboratoires spécialisés que compte le pays. L’objectif : accélérer le dépistage auprès des nouveau-nés des populations rurales, pour prescrire le traitement dès les premières semaines de vie et améliorer les chances de survie.
Livrer des produits de santé (médicaments, vaccins, poches de sang, …)
Début octobre, le Rwanda inaugurait sa première base de livraison par drone capable de fournir des poches de sang (et bientôt, médicaments et vaccins) aux 21 cliniques de l’ouest du pays en moins de 30 minutes. Un gain de temps inestimable, pour un pays au relief accidenté et aux routes parfois impraticables. Les centres de soins ruraux peuvent passer commande par SMS ; le drone décolle alors d’une rampe de lancement et suit un itinéraire pré-programmé. Le colis sera parachuté à basse altitude à destination, après qu’un SMS a été envoyé pour prévenir les médecins de son arrivée imminente.
En France, des premiers tests ont été réalisés cet été par le consortium Drone For Life, qui regroupe le CHU de Bordeaux, Abbott, BeTomorrow, Sysveo, l’ARS Aquitaine, la DSAC-SO et Aetos. Un couloir aérien a été accordé par l’aviation civile pour tester le transport par drones d’échantillons biologiques, de médicaments et de produits sanguins dans des emballages isothermes jusqu’au CHU de Bordeaux, en plein centre-ville. Dans le cadre de cette expérimentation, les drones pourront livrer des colis allant jusqu’à 1 kg, à une vitesse de maximum 60 km/h et dans un périmètre de 20 km autour du CHU. L’objectif est de gagner du temps par rapport au transport par ambulance.
Accélérer la livraison d’organes
En matière de transplantation d’organes, la rapidité du transport est cruciale : de cette rapidité va dépendre la qualité du greffon, qui conditionne lui-même la réussite des greffes. Plusieurs projets sont en développement pour utiliser la livraison par drone. En Inde, le programme NP-Micav est focalisé sur le transport de cœurs, l’objectif étant de réduire de 50% le délai de transport par rapport au transport en ambulance – mais est encore loin du prototype.
Aux Etats-Unis, la société pharmaceutique Lung Biotechnology a signé avec le fabricant chinois de drones Ehang un accord prévoyant l’achat de 1 000 drones MOTH (pour Manufactured Organ Transport Helicopter), une déclinaison du fameux « drone » géant Ehang 184 présenté au CES2016. L’objectif est d’automatiser et d’accélérer la livraison d’organes artificiels depuis ses sites de production vers des hôpitaux américains. Reste cependant encore à obtenir le feu vert de diverses autorités, notamment de l’aviation fédérale et de la FDA…
De nombreux obstacles restent à surmonter pour un déploiement à grande échelle
Si les promesses sont nombreuses, la plupart des projets en cours n’en sont qu’au stade de prototype ou de programmes pilotes, et portent le plus souvent sur un périmètre très restreint. Les obstacles sont en effet nombreux.
Une réglementation stricte
Les projets commerciaux se heurtent en première ligne à la réglementation du trafic aérien et à la prudence des autorités de l’aviation civile. En France, la législation encadre fortement l’usage des drones civils, à travers notamment deux arrêtés de décembre 2012, et vient d’ailleurs d’être encore renforcée le mois dernier. Selon le scénario de vol envisagé, des autorisations et formations spécifiques sont nécessaires – et difficiles à obtenir. L’Europe souhaite cependant harmoniser les législations nationales et fera en décembre une proposition de règlement, qui risque de tout remettre à plat.
La sécurité, enjeu central
Les considérations en matière de sécurité, de sûreté et de vie privée rendent de développement commercial compliqué, d’autant plus que l’on dispose aujourd’hui de peu de recul ou de données sur l’usage des drones. Et que la technologie est encore loin d’être au point, notamment quand il s’agit de détecter et d’éviter les obstacles de toute sorte en milieu urbain (fils électriques, véhicules en mouvement, etc.), dans des conditions météorologiques qui peuvent changer à tout moment.
Concernant la protection de la vie privée, les inquiétudes sont vives face à la multiplication des drones dans le ciel, qui offrent des possibilités d’intrusion inégalées. A tel point que la Suède vient de décider, le mois dernier, d’interdire purement et simplement les drones équipés de caméra. Un permis spécial et très restrictif sera désormais nécessaire.
Les risques de piratage et d’interception
La question du piratage refait régulièrement surface. Le 26 octobre dernier, un chercheur en sécurité informatique de chez Trend Micro a démontré, à l’occasion de la conférence PacSec 2016, qu’une grande partie des appareils radioguidés – dont la plupart des drones civils actuellement sur le marché – pouvaient être piratés. Il a ainsi réussi à mettre au point un dispositif capable de prendre le contrôle de tout drone utilisant l’un des protocoles radio les plus répandus (DSMx). Indépendamment d’un piratage organisé, il convient également de réfléchir aux risques d’interception de l’aéronef en cours de vol. Des dérives à ne pas négliger…
La spécificité des produits et services liés à la santé
S’agissant du transport de produits de santé et d’échantillons biologiques, des réglementations particulières peuvent s’appliquer (secret médical, données personnelles de santé, etc.) qu’il faudra prendre en compte dans les solutions envisagées. Par ailleurs, plusieurs chercheurs se sont inquiétés de l’impact que pourrait avoir ce transport d’un nouveau genre sur ces produits. Des premières études pour vérifier que les échantillons ainsi transportés n’avaient pas été altérés ont ainsi été menées, notamment par un professeur adjoint du département de pathologie de la faculté de médecine de l’Université John Hopkins, Timothy K. Amukele. Mais celles-ci restent encore limitées et insuffisantes – l’impact sur les organes n’a à ce jour pas encore été évalué par exemple.
Une coordination nécessaire avec tous les acteurs
Enfin, au-delà de la nécessité de sécuriser l’usages de ces technologies, il faudra également travailler sur leur intégration dans les organisations existantes, et s’assurer de la coordination et de l’adhésion de tous les acteurs de la chaîne. Par exemple, les drones ne doivent pas entrer en conflit avec les équipes de secours sur le terrain. De même, concernant les projets de dépistage, livrer du matériel sans qu’un travail d’éducation et d’information sanitaire soit réalisé en parallèle risque de n’avoir qu’un impact limité. La réflexion doit donc être menée de manière globale, en associant tous les acteurs concernés le plus en amont possible.
Céline Sportisse
Blog Santé Numérique
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